Image de couverture de Akeïn et le Prince

 Akeïn repose son livre, songeuse. Ah, si seulement elle pouvait devenir une guerrière comme Balsa, dans cette époque du Japon médiéval, et manier si habilement l’épée ! Une brise légère soulève ses cheveux sombres. Elle observe la nature verdoyante, les arbres encore fleuris en ce début d’été.

 Akeïn adore passer ses vacances scolaires ici, à la campagne, dans la maison de sa grand-mère. Loin des buildings. Loin des moqueries. Loin des bruits agressifs de la ville. Le chant des cigales l’apaise et la ramène à l’instant présent. Elle ne veut plus y penser. Les chrysanthèmes assoiffés semblent la supplier. La petite jardinière prend l’arrosoir pour les contenter.

– Akeïn ! Akeïn ! Viens dîner, l’appelle sa grand-mère.

 L’adolescente prend son livre et entre dans la maisonnette en bois. Le repas est servi sur une table basse, des coussins en guise de chaise. Elle s’installe à genoux puis se remet à lire, absorbée par une scène de combat.

– Dis donc mademoiselle ! Une jeune fille de douze ans doit savoir se tenir à table. Pose ce livre, la réprimande Naka.

 Elle obéit et commence à manger son bol de riz aux légumes vinaigrés.

– Ah, j’adore ta cuisine, mamy !

 Naka sourit tendrement. Elle pose son regard sur le vieux téléphone qui trône sur la commode, songeant à son mari disparu. Lui aussi appréciait sa cuisine. Sa petite-fille remarque la tristesse dans ses yeux :

– Pourquoi gardes-tu encore cette vieillerie qui ne fonctionne plus depuis des lustres ?

– Ah, cette « vieillerie », comme tu dis, me rappelle des souvenirs. Un temps où les gens décrochaient leur combiné quand on les appelait !

 Sur ces mots, elle lui lance un regard entendu.

– Oh, mais je manque rarement tes appels, mamy.

 Elles se mettent à rire. Akeïn sait combien ce téléphone de l’époque des dinosaures est précieux pour Naka. Quand sa grand-mère était jeune, c’était son unique moyen de contacter l’amour de sa vie, qui deviendrait son grand-père. Les deux familles ne s’entendaient pas, et ils devaient se téléphoner en secret pour pouvoir se parler. « Quelle histoire ! Un vrai remake de Roméo et Juliette », avait toujours pensé la jeune fille.

 Elle se dirige vers sa chambre une fois le repas terminé et se blottit sous son drap, captivée par l’histoire de Balsa, la guerrière. Les murs de la pièce semblent se déformer : les tableaux de peinture à l’encre de Chine prennent vie grâce à son imagination débordante : bambous, pruniers, cerisiers deviennent le décor de sa guerrière. Les contours disparaissent dans une scène mouvante, où la bataille fait rage. Alors que les étoiles se dessinent à travers la fenêtre, sa rêverie la plonge dans un sommeil agité.

 La nuit, un drôle de son métallique la réveille.

– Une… sonnerie ?

 Le bruit vient d’en bas. Elle descend l’escalier, sursaute, une main plaquée contre sa bouche.

 Sur la commode, le vieux téléphone qui n’est pas censé sonner vibre et fait entendre son tintement aigrelet. Akeïn approche.

– Il… il est débranché ! Ce n’est pas possible !

 Elle pose une main sur le combiné, tremblante, hésite. Et décroche.

– A…llô ?

 Son cœur s’emballe, sa respiration devient saccadée.

– Akeïn ? lui répond une voix de femme.

– O…oui.

– C’est moi, Balsa.

– Bal…sa ?

 La guerrière épéiste de mon livre ? pense la jeune fille.

– Je suis toi, dans une autre dimension. Et j’ai besoin de ton aide.

 Abasourdie, Akeïn est incapable de répondre. Balsa poursuit :

– Toi seule peux sauver le Prince.

 Bip, bip, bip…

 Plus de voix. La communication est coupée. Akeïn grelotte d’appréhension, perdue, le combiné toujours en main.

 Elle retourne dans sa chambre, transpirante. Sa grand-mère semble n’avoir rien entendu, probablement parce qu’elle enlève ses appareils auditifs pour la nuit.

 Impossible de trouver le sommeil. Elle ouvre sa fenêtre, inspire profondément l’air frais puis s’assoit sur son oreiller.

– Que s’est-il passé ? souffle-t-elle, seule dans son lit en regardant les étoiles.

 Son cœur tambourine encore dans sa poitrine.



– Tu en as des cernes ce matin ! Tu as encore lu toute la nuit ? lui demande sa grand-mère au petit déjeuner.

– Oui et non… Mamy, le vieux téléphone, il… il a sonné cette nuit. J’ai eu si peur ! Je n’ai pas pu dormir.

 Sa grand-mère l’examine, perplexe.

– Je n’ai pas rêvé ! Je suis descendue pour voir. Il sonnait vraiment ! Et…

– Ah non ! Un Akuma dans ma maison ? Et il a osé tenter de communiquer avec ma petite-fille ? Tu aurais pu être envoûtée, c’est dangereux !

 Naka arrache son tablier, place son foulard en bandana sur son front, part furibonde dans le jardin. Elle revient avec une branche de sauge et un bol d’eau. Elle plonge les feuilles dans l’eau, les secoue frénétiquement sur le combiné en récitant des incantations en japonais, sautillant autour de la commode. Akeïn observe son petit manège, médusée, les yeux écarquillés.

– Mamy… je ne pense pas que ce soit très utile d’exorciser ce pauvre téléphone et de…

– Laisse-moi me concentrer !

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